Lassitude.

 

Un grand vide remplit le calme déroutant.
Je n'ai pas envie d'ajuster les vers, chercher la rime, la finesse du verbe.
Non, je n'ai pas l'envie nécessaire.
D'abord la banlieue est triste, sans âme. Les oiseaux piaillent par habitude, le vent soupire par négligence, les arbres se plient par obligation.

  Pourtant là-haut, berceau de la cime, repaire des aigles, sauvagerie inhumaine, resplendit un paysage dément, sans loi ni religion. Un paysage anarchiste qui vit au jour le jour, suivant les rafales, les canicules, les gelées. Le pas, de rares aventuriers, n'incruste aucune empreinte dans la glaise tourmentée, les yeux s'émerveillent sur cette géhenne sculptée dans le souffle des bourrasques. Soleil ou frimas, convulsions, cataractes ou accalmies, le site est toujours aussi âpre. Il craque sans étape pour annoncer sa vie trépidante. La déflagration de ses heurts disloque l'entendement. Puis, sans explication, il se repose au soleil en murmurant ses refrains au fil de l'eau. Mais quelle eau charrie-t-il dans ses cicatrices? Une eau sacrée, diabolique qui hurle sa naissance du ventre des névés. Elle tourbillonne dans les roches, fracasse qui s'impose dans sa gorge. Elle bouillonne dans ses traboules comme ce pourpre dans l'artère d'un pur-sang au galop puis se jette dans le vide, sans angoisse, en de longues cascades impétueuses. Elle donne à ce paysage une rudesse violente, un écho d'enfer, elle donne la rime au clochard paysage. Parvenue dans des défilés moins abrupts, elle fredonne en trimardant de fins galets sur son échine, elle dissimule les truites farios et s'amuse à faire tourner la petite roue du moulin en bois construite par les enfants du voisinage. Elle se joue des mêmes lorsqu'ils bâtissent des digues en terre hérissées de pierres. Jeune, frivole, étourdie, la tête au présent, elle ne se soucie pas de ce que devraient être les signaux précurseurs.

  Ce ruban furieux, tout chiffonné, devient large, majestueux et il rencontre pour la première fois un vrai rempart de mortier contre lequel il se brise les membres, dont il doit trouver l'issue, dont il sort écume et bave de colère aux commissures. Il est propulsé dans un goulet mouvementé qui l'entraîne toujours plus loin.
Ainsi ce clochard, malade d'indépendance, se remplit de nos égouts, vide nos poubelles, absorbe nos pollutions, devient une loque incrustée de la souillure humaine.

  La culture survient, noeud papillon, vagues courbettes, sourires obséquieux et discute très solennellement des solutions à apporter. Le clochard a peur, ne comprend plus. Et cette force gigantesque ne peut rien, se dégoutte avant de devenir banlieue.
Mais la banlieue est triste, sans âme. Les oiseaux piaillent par habitude, le vent est inexistant et les arbres morts depuis longtemps.
Un grand vide remplit le calme déroutant.

 

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