Tes vingt ans.

 

Enfin, du ciel bleu.
Nos yeux, noyés de son oubli, se dessillent. On y rêvait, sans rien espérer. On se tenait la main pour se donner du courage, il est plus douillet d'affronter la grisaille à deux.
Et par hasard, le ciel bleu réapparaît. Avec du soleil en plus. C'est tant mieux parce que du ciel bleu sans soleil, on n'imagine pas.

  Sous les rayons, de suite trop chauds, s'élève de la terrasse détrempée une légère brume. Par endroit, les dards excessifs ont la bonne idée de se perdre dans les feuillages d'où s'échappe, mouchetée, une ombre propice à l'indolence.
Des battements d'ailes s'affolent dans les broussailles. En toutes places, on s'énerve. Celles-ci récoltent, là on bâtit, derrière ça s'égosille pour dégoter l'âme sœur.

  L'hibernation finie, nous nous surprenons, alors, à ressortir les fagots, les bûchettes. Où sont les allumettes, qui a un briquet ? Suivent en rangs serrés, les brochettes, les saucisses, les bonnes bouteilles, les amis, ceux qui savent écouter dans les arbres frémissants, l'explosion d'énergie et débusquer les écureuils qui somnolent sous le couvert du feuillage.
On souffle sur les premières braises, elles communiquent leur joie de vivre aux branches sèches en les embrasant, on essaye d'échapper à cette satanée fumée, mais fidèle, elle vous rattrape immanquablement. Les yeux picotent, la gorge s'irrite.

  Il se joue par-là un petit air de musique qui nous rappelle.

  Le parasol se déplie, la chaise longue se détend, les couverts rejoignent les assiettes sur la table ronde, puis on enlève tout, il fallait d'abord mettre la nappe. Et des rires se morcellent en petites notes cristallines.
Les grillades se dégustent en chapelet, poussées par la fraîcheur du rosée, la glace tintinnabule sur le cristal. Le verbe s'égaye, le ton monte, des gloussements s'égrènent sur les derniers commérages, un sourire sur les lèvres, les paupières mi-closes, on s'intéresse à plusieurs discutions simultanées, sans en suivre la totalité.

  La chienne ne sait plus si elle a envie de paresser à l'ombre ou en pleine chaleur.
La chatte lui tourne autour, inquiète, et lui crache de longs feulements.
Les jours sont longs à n'en plus finir et d'ailleurs personne ne s'en plaint. Mais l'élastique des heures est prêt à céder, il sera bientôt temps de le détendre, qu'elles raccourcissent inexorablement.
Pour l'instant le soleil rejoint sa couche dans des ocres, des oranges et des rouges, à peine dissimulé par quelques lambeaux d'écharpes gris-bleus.

  Ah Salomé ! Je ne sais plus si l'éclat de tes vingt ans se situe au moment où ce soleil surplombe au zénith ou bien dans les merveilles d'un soleil rejoignant l'horizon.
Le beau temps de tes vingt ans annonce la fête comme si de rien n'était, avec ses petits pieds de nain avançant à pas de géant.
Sans se soucier de celle qu'il laisse à quarante printemps ou de cette autre à dix.
Tes vingt ans, sûrs d'eux, ne s'arrêtent même pas sur cette fragrance particulière. Prendre un moment, se promener sur ses berges, y dessiner sur l'onde des ricochets à l'infini. Ils ne permettent pas de s'attarder le temps d'une récréation, le temps d'un goûter pain au chocolat, courent vers d'autres secondes tout aussi martelées que les précédentes.

  Dans l'attente, oublie cette course, pose tes vingt ans devant toi, regarde-les frémir puis danser dans la déalbation de la lumière.
Danser, rire et se moquer.
Vivre en s'arrêtant, sans s'arrêter de vivre.
S'engloutir de frivolités et se submerger de sérieux.
Jouir de cet âge, panache de la peau satinée maquillée d'inconstances éternelles. Quelle importance qu'il s'agisse de l'immuable naufrage où rides, flétrissures et meurtrissures vont commuer le masque en parchemin.
Regarde les couler d'Amour enchanté et s'égratigner de tendresse blessée.
Ameuter puis s'isoler. Chercher en sachant qu'il n'y a rien à trouver et trouver sans le vouloir.

  Salomé, que tes bras fassent moulin, qu'ils embrassent tous les vents, qu'ils prennent et ne rendent rien, qu'ils donnent sans jamais souhaiter de retour. Qu'ils étreignent une totalité et oublient de se soucier. Qu'ils soient frêles aux coups à donner et puissants aux amitiés à distribuer. Qu'ils tentent de retrouver le chemin égaré.
Qu'ils soient ce que tu aimes dans ceux d'un autre.

Qu'ils soient ce que les miens eussent aimé être.

 

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