C'est bête de raconter l'histoire de ce grand gars qui a fini comme ça.
C'est dans une page centrale, en deux ou trois filets, qu' agonisent ces faits divers, vite oubliés, si tant est qu'ils furent parcourus.
Personne ne dépose de chrysanthème au pied de telle mort. Aucune tête blanche enserrée
d'un foulard noir à motifs surannés pour gratouiller la terre autour des fleurs en
plastique.
Aucun arrosoir rempli en silence au robinet accroché sur le mur d'enceinte, près du
bac dans lequel sont jetés pêle-mêle les bouquets qui finissent de faner. Arrosoir
transporté d'un pas hésitant, les yeux baissés sur l'éternité qui se reflète dans
le miroir du désespoir.
Aucune larme à rebondir sur le marbre usé.
Aucun chuchotement glissant dans l'air pour égrener les chapelets, les dernières
nouvelles familiales, les derniers venins du voisinage. Pas de gémissement sur sa
propre solitude pour apaiser la victime.
Seulement quelques rayons, pelotonnés dans les cyprès. Ils s'échappent d'un soleil
devenu timide par la solennité du lieu. Résonnent également les lamentations du vent
qui musardent dans les ramures.
Les pas ne crissent pas sur le gravier des allées qui mènent à ces morts là.
Oui, mais je suis encore là.
C'est ce grand gars que ma mère a aimé.
Si différent l'un de l'autre. L'une, déposée telle une fleur déployée au soleil.
Elle paraît heureuse même dans les vicissitudes de sa vie, silencieuse dans le
tumulte de son entourage, elle sait d'avance qu'elle aura seule à se déterminer
pour les deux. Prête à régler par avance les difficultés qui se grefferont inévitablement
sur ceux qu'elle aime, mettant de coté les siennes. Sereine mais déterminée à conduire
son destin. Usine à tendresse tournée vers l'autre, les bras tendus vers le bonheur
de pouvoir étreindre les Siens, les yeux chargés de la joie d'avoir un jour rencontré
l'autre, dégingandé, charmeur, hâbleur mais tellement bon danseur. Un homme quoi !
Perdu devant les décisions familiales, juste égoïste comme l'enfant qu'il est resté,
toujours disposé à apporter des solutions à ce qui n'en a pas, naïf à vous faire vous
demander si il est sérieux d'entrevoir une vie commune et l'aimer encore plus pour ses
faiblesses. Les femmes ont tant besoin de materner.
Il était tout quoi. Tout ce que l'on m'a reproché de ne pas m'être approprié.
C'est ensemble qu'ils m'ont élaboré, sur un air de flonflon certainement, de celui
qu'ils aimaient tant.
Peut être en fin de soirée, à l'heure où la chair devient tendre, des frémissements
courent sur la peau, un jet de lumière transperce la vitre et finit sa course sur
ses seins, son ventre et le haut de ses cuisses.
Ou au plus profond de la nuit, veillés par une bougie. Elle protège les murmures,
constructeurs de mondes fabuleux, à leur image, puis berce du vacillement de sa flamme,
la leur.
La bougie, par pudeur, s'éteint, les mains en profitent alors pour découvrir toutes
les ruelles des deux corps, s'attardent sur les triangles de l'amour. Frissons, chair
de poule, spasmes…
Mais l'histoire n'a pas commencé de cette façon.
Laissons lui la parole.
La guinche du samedi soir, toute la semaine ça se prépare. A l'usine on répète mentalement
les pas qui vont l'émouvoir. On ne la connaît pas, on ne l'a peut-être jamais vue, mais
c'est elle que l'on a déjà dans les bras. Et la jupe plissée se soulèvera, se soulèvera
sur les jambes qui en émergent, elles tourneront, tourneront et plus elles tourneront et
plus ça se soulèvera. Rien que d'y penser mon cœur chavire. C'est cette image là qui me
propulse la semaine au travail. La tôle prend forme sous les coups de masse par la seule
pensée du bal. La multitude de rivets rougeoyants est installée pour assembler les pièces
de métal, mais mon corps lui est déjà rivé tout entier sur son corps au bal du samedi soir.
C'est lui mon ciment social, c'est lui qui me rapproche de l'humanité. Plus la fin de
la semaine approche plus le soufflet de forge devient soufflet d'accordéon, il expulse
ses notes et te colle contre elle bien avant l'heure.
Inutile de prendre de rendez-vous, toutes les semaines à la même heure la rue s'anime
de mouchetures mobiles multicolores d'où les rires se mêlent aux sobriquets lancés à la
cantonade par ceux qui se cherchent. Déjà les yeux furètent pour dénicher l'âme à inviter.
La salle est grande, mais jamais trop quand, toupies enivrées, tourbillonnent les danseurs.
Les murs sont certainement blancs, mais sous la lumière, ils se teintent de pastel. Avant
notre arrivée, l'orchestre installé trois marches au-dessus de la piste joue déjà en guise
d'invitation à ne pas perdre son temps. J'aime prendre mon temps, m'installer au bar,
prendre plaisir à voir les affamés de la piste, les enragés du pas cadencé, dévorer les
mètres carrés. Mon but est de dénicher celle qui va accepter mon rythme, symbiose nécessaire
à une soirée harmonieuse et plus si affinité.
J'ai déjà dansé avec la plupart des femmes qui séjournent sur ce plancher. Certaines m'ont
fait l'honneur de pouvoir sentir leur peau d'un peu près, permission d'enlacer nos corps
pour virevolter dans l'espace, approbation muette d'amarrer nos destins quelques temps.
Mais mon intérêt réside dans la nouveauté. Découvrir celle qui, de passage, va accepter
de valser un bout de chemin dans ma vie. Justement ce soir là, une belle, le teint tout frais
se tenait sur le bord de la piste. Elle venait pour la première fois. Les potes, toujours les
mêmes, goinfres impénitents se jetèrent sur l'agnelle. Elle accepta les invitations, fit
comprendre d'une manière ferme à quelle distance on devait se maintenir. Repoussa assez
brutalement le Sylvain. Dès qu'une femme accepte de danser avec lui, c'est qu'elle
autorise une visite approfondie de son soutien-gorge et plus que rapidement de sa
culotte. Parfois ça réussit, c'est une façon de faire, mais visiblement les manières
de la douce enfant n'étaient pas de cet étage là. Je me réjouissais de la voir faire.
Elle dansait bien et elle se refusait. Pourtant, si elle était venue seule…
L'énergie des trousseurs ayant fondue, je me décidais à porter mes pas vers elle.
C'est idiot, après tant de femmes prises par la main, le charme de l'invitation à
tanguer me fait toujours battre le cœur. Le refus peut-être ? Mais pourquoi recevrais-je
une rebuffade ? Je préfère une approche discrète, inviter par surprise, malgré mes ruses
de sioux, ses yeux sans sourire, se posèrent sur moi. M'avait-elle déjà repéré ? Arrivé
près d'elle, je lui tendais une main en silence. Elle me fixa dans les yeux et demanda.
" C'est une invitation ?"
" Si vous le désirez Mademoiselle "
" Pour une invitation à danser d'accord, mais nous attendrons la prochaine danse,
j'aime bien ce qui commence par le début. "
Il allait falloir de la patience et de la bonne humeur, elle savait disposer les mots
les uns derrière les autres...
Je tenais à lui faire comprendre, que si elle avait la maîtrise du langage, sur la
piste je conduisais le débat. Pour la finesse du geste, il est important de savoir
comment la partenaire danse, avant de lui imprimer des pas trop compliqués qui la
mettront en état d'infériorité. Des pas fermes mais simples doivent la mettre en
confiance, savoir à quelle distance de mon corps la maintenir pour lui impulser les
mouvements sans qu'elle ait à me repousser. Décidément mon expérience était inutile,
elle dansait bien et n'avait rien à apprendre. Mais alors où avait-elle appris ?
D'où venait-elle ? Laisser les questions en suspens, on est là pour vibrer avec la
musique.
L'orchestre en deux mots. Je les connais tous, il est superflu d'en faire le tour
mais intéressant de s'arrêter sur les cas. Le pianiste, quand on le regarde jouer,
il fait plus que pro. Tout en jouant, il prend des notes sur les partitions. Soit il
les remanie, soit il en écrit de nouvelles. Et cela sans faire une fausse note, c'est
vous dire le sérieux. Un soir j'ai eu l'occasion de monter sur l'estrade avant qu'ils
ne rangent tout leur matériel. J'ai pu voir les œuvres du pianiste. Posé sur une partition
il y avait un hebdomadaire de mots croisés, force 3, qui lui permettaient de muscler
son esprit pendant que les doigts en faisaient de même sur le clavier.
Le même soir je me suis aperçu que le bassiste, pour mettre à l'aise ses durillons,
jouait en charentaises ce qui permettait à ses Santiag d'exhaler en prenant un repos
bien mérité juste derrière la contrebasse.
J'ai gardé pour la fin mon pote, le seul de l'orchestre que je vois en dehors du bal.
L'accordéoniste. C'est un allumé qui a tendance à clignoter de temps à autre. Il
s'est trompé d'orchestre, il aurait mieux valu qu'il fasse du jazz. Quand il disjoncte,
rien ne l'arrête, il se met à improviser durant un tango. Les musiciens et les danseurs
sont pris à contre-pieds, les uns essayent de le rattraper, les autres, les yeux
écarquillés, s'arrêtent sur place et assistent à un concert. Immanquablement après
une digression plus ou moins longue, il recolle au morceau et tout rentre dans l'ordre.
Cette première soirée, je suis rentré seul et il ne m'a été permis que de rêver à divers
scénarii.
J'ai quand même réussi le plus important, elle m'a promis de revenir. Je sais qu'elle
se prénomme Sophie et qu'elle est institutrice nouvellement mutée. Certaines de mes
interrogations ont trouvé réponses. En toute une soirée, c'est quand même peu.
Voilà comment démarre une vie de couple. On danse d'abord ensemble, on se jauge, on
apprend à se connaître puis à s'apprécier. Je sentais confusément que Sophie avait
besoin de ces préliminaires, le coté parade amoureuse m'ennuyait un peu mais dès que
ses yeux inondaient les miens j'étais prêt à toutes les attentes. Avec le temps,
nos corps se rapprochaient, nos visages, nos lèvres, le couple danseur devint un
couple d'Amour. Très vite je compris qu'elle corrigerait la partie défavorable de
mon personnage. Celle qui se laissait un peu aller avec les copains, pendant les
longues soirées chaperonnées par divers jeux de cartes. Tout cela fut oublié, avec
Sophie une autre vie commençait, réfléchie, posée. Mais à ses cotés rien ne manquait,
je me sentais serein.
Et puis il y eut Jérôme, petite pousse à arroser pour qu'elle grandisse. Une seule
chose ne changeait pas. Tous les samedis soir, bras dessus, bras dessous, on se rendait
à la petite guinche. Jérôme restait avec une voisine trop contente de pouponner.
Mais la vie est pleine de ressorts meurtriers qui se détendent sans prévenir, lanceurs
de couteaux, ivres. Nous dansions, comme à l'habitude. Sophie me glissait des mots
tendres, je les devinais car je ne pouvais pas entendre son murmure, il était couvert
par la musique et le brouhaha ambiant. Tout à mon bonheur, je ne compris pas pourquoi
la musique s'arrêta en même temps que les mots doux de Sophie. Un tumulte d'un autre
ordre remplaçait le brouhaha précédent, Sophie devint toute molle dans mes bras, j'eus
l'impression que tout le monde nous regardait, la difficulté majeure était de retenir
Sophie qui venait de faire un malaise. Je lui parlais, elle ne répondait pas, je décidais
de lui tapoter la joue c'est en dégageant la main qui lui maintenait le dos que je
compris le désastre. Ma main était rouge et poisseuse du sang qui s'échappait de sa
chair. Je la perdais, elle s'envolait ailleurs sans que j'eus le temps de lui dire
adieu et de lui répéter juste une seule fois : je t'aime. Je m'allongeais sur le sol
avec elle et mettais mon visage dans son cou encore chaud.
Le temps s'est arrêté cette soirée là. On eut beau m'expliquer qu'il s'agissait d'un
règlement de compte entre bandes rivales, que Sophie se trouvait sur le trajet d'une
balle perdue, perdu je l'étais aussi. Ma douleur silencieuse glissa peu à peu dans la
folie ordinaire de l'alcoolisme. J'aurai voulu dire à Jérôme tout bébé qu'il n'avait
pas seulement perdu sa mère. Je n'avais pas les mots, pas l'envie. Vers la fin quand
il m'arrivait de rentrer à la maison le soir, je ne le reconnaissais même pas. Je crois
que la voisine s'est occupée de lui. A d'autre moment, il me semblait ne plus le voir.
J'aurai aimé lui donner une photo de sa mère. Nous étions photographiés en noir et blanc,
elle et moi, enlacés, heureux pour l'éternité. Je ne pouvais plus supporter de la voir.
De sombres douleurs perçaient l'écume de ma rage. Un soir plus douloureux que les autres,
j'ai déchiré cette photo et j' ai brûlé les confettis. Combien j'ai regretté ce geste
ensuite.
Sur la fin je ne me souviens plus très clairement. Dans l'état qui était le mien je
n'arrivais plus à mettre une clef dans la serrure. Je laissais la porte de mon gourbi
toujours ouverte, c'est certainement pour cela que parfois je distinguais un môme dans
l'appartement, un ours sous le bras, un doigt dans la bouche, il me fixait. Sur le moment,
j'étais incapable d'articuler quoi que ce soit, le lendemain, il n'était plus là et puis
j'avais déjà oublié.
Encore plus déchiré que l'habitude, la poignée fut difficile à trouver. Ce soir là le
môme se tenait encore dans la même position. Une embardée me projeta vers le mur à coté
de la porte où il se trouvait, ce mouvement non contrôlé lui fit certainement peur, je
l'entraperçus faire demi-tour et repartir vers un lit. Il fallait que je lui parle, que
je sache si c'était Jérôme, mais comment faire dans un état pareil. Malgré ma situation,
j'eus une idée, prendre une douche. La difficulté résidait dans le fait d'atteindre la
cabine, de pénétrer dedans et de me maintenir debout. Une fois calé, je ne savais plus
ce que je faisais là. Je n'allais quand même pas dormir ici ? Ah, un robinet ! J'essayais
de le tourner. Quand l'eau froide se mit à couler, je ne fus pas de suite mouillé, ce
n'est qu'au bout d'un bon moment, quand je me mis à trembler de tout mes membres que je
m'aperçus que j'étais resté habillé avec ma casquette vissée sur la tête. Subitement je
voulus m'extraire de ce putain de merdier, mais allez savoir ce qui s'est passé, Un manque
d'air évident, un froid intense et ce fut la fin.
Au fracas de la chute de mon père, je compris qu'il arrivait quelque chose de grave
sans pouvoir mettre de mot ou d'image à ce qui venait de se passer. Mon premier réflexe
fut d'accourir, mes pas me stoppèrent sur le seuil de la porte. C'est de là que je vis
la casquette rouler puis s'arrêter à mes pieds. Elle m'expliquait qu'au bout du couloir
autre chose venait de s'arrêter, qu'il n'était pas utile de se déplacer, que la douche
pouvait bien continuer à couler, qu'il serait temps plus tard d'écouter la vérité en
feignant de l'entendre.
Le regard longuement fixé sur la casquette, je sentis la fatigue m'envahir. Je ne
voulais pas retourner dans le lit, il me semblait trop douillet au regard de la situation
présente qui me menait directement dans le chemin boueux du déséquilibre. Epuisé, je m'allongeais
sur le sol en serrant la casquette de mon père contre moi. On me retrouva au même endroit
le lendemain, j'ai beaucoup voyagé ensuite sans rien demander. De familles en familles,
de centres en centres, puis de courts retours à la maison qui me menaient aussitôt vers
de nouveaux ailleurs, sans bien comprendre ce que l'on attendait de moi. J'étais heureux
quand on me distribuait de l'amour, silencieux et fermé quand on me tapait, relativement
hermétique aux explications que l'on me donnait, dont je n'avais pas besoin. Très longtemps
je ne sus pas ce que je voulais et ce que j'attendais. A tout dire, adulte, je ne le sais
toujours pas, j'essaie de pallier au manque de mes parents, à l'image de mon père sur la fin,
torture éternelle, gouffre sans fin.
Transparent à ce qui m'entoure, je me déplace surtout la nuit, j'ai l'impression de
ne rien devoir à personne.
Depuis quelques temps j'avais des douleurs qui m'indiquaient d'aller voir un docteur
au dispensaire. Il aurait fallu lui expliquer tellement de choses, tous ces futurs
soucis m'interdisaient d'en prendre le chemin. Et puis les jours passent et ma déraison
m'a escorté à ce soir-là, j'étais dans une rue éclairée de néons multicolores, il
me fallut un certain temps pour comprendre que les néons invitaient à investir des
salles de bals. En arrêt devant les clignotements tapageurs de l'une d'entre-elles,
je fixais l'entrée puis les gens qui discutaient en riant près de la porte. Sans vraiment
comprendre ni ce que je faisais, ni la raison qui me poussait, je m'approchais en
plongeant la main dans ma poche pour y sortir l'argent que je ne savais pas posséder.
Dans la salle il régnait une ambiance faite de bruits, de cris , de rires, de mots
doux discrets, de caresses invisibles. Les danseurs emplissaient l'espace éclairé par
des lumières colorées qui tournaient, montaient et descendaient, aveuglaient par moment.
Il y avait même de la musique que je n'avais pas distinguée en entrant. Autour de la
pièce il y avait des hommes et des femmes qui attendaient. Parmi eux, une jeune femme,
seule, contemplait les couples virevoltant. Au moment où je posais le regard sur elle,
elle tourna la tête, me voyant, elle sourit et vint vers moi. A son seul déplacement,
je fus pris de panique. Que me voulait-elle ?
" Bonsoir Jérôme. J'ai cru que tu ne viendrais pas ce soir. "
Comment connaissait-elle mon prénom ? Je ne connais aucune femme. La sueur commençait
à sourdre de mes pores.
Elle me plaqua une bise sur la joue.
" Allez, viens danser, tu as l'air tout chose ce soir. "
je pense lui avoir fait remarquer
" Mais, je ne sais pas danser "
En riant, elle répondit :
" C'est pas comme ton père alors ! "
A ces mots la douleur s'amplifia, mon crâne vomissait les images si difficiles à oublier, malgré la chaleur, je sentais un grand froid intérieur, je crois même que je grelottais.
" Viens, je vais t'apprendre alors, comme au bon vieux temps. "
Il n'y a rien à expliquer à cela. Je ne sais pas danser, j'ai des vertiges, elle me fait voir des pas que je ne connais pas et puis le problème qui me taraude n'est pas celui-là, mais me voilà sans rien y comprendre, en train de danser convenablement avec une jolie femme que je découvre, qui me tutoie, qui connaît mon prénom. Mais que cherche-t-elle que je ne saurai pas lui donner ?
"Que voulez-vous, qu'attendez-vous de moi ? "
" Arrête de faire l'andouille Jérôme, tu vois bien que tu danses comme d'habitude.
Tu me vouvoies ce soir ? Je veux danser et m'amuser avec toi. Je suis heureuse d'être
avec toi mon chéri."
Mon chéri ? C'est bien ça elle veut que nous couchions ensemble. Ca fait si longtemps, malgré tout je sens une envie vibrer dans mon soubassement, la trique quoi !
" Mais , mademoiselle, … "
" Quoi mademoiselle ! mais enfin Jérôme, tu as bu ? "
" Euh, ben non madame, excusez-moi, c'est si soudain… "
Oh, après tout, pas de perte de temps. Je me collais contre elle pour qu'elle apprécie mon émoi. Elle s'arrêta de danser, me fixa d'un air si sévère que je compris aussitôt qu'il y avait méprise.
" Enfin Jérôme, tu es complètement fou, en quel honneur aurais-tu envie de faire l'amour avec ta mère. "
A la fin de cette phrase, la douleur qui taraudait ma poitrine devint intolérable.
Depuis mon réveil à l'hôpital une seule question me tourmente. Quelle est cette femme qui me voulait tant de mal qu'elle a fait se déclarer le mien ? Dès que je pus parler, je questionnais une infirmière.
" Une femme est-elle venue me voir ? "
La réponse fut négative. Ensuite elle m'indiqua qu'il était temps que j'essaye de
m'asseoir sur le lit. Doucement, tout à mes pensées, je laissais descendre mes jambes
sur le coté, elle m'aida à me redresser, je fermais les yeux, j'avais mal. La douleur
s'estompa un peu, j'essayais de regarder. En face se découpait une fenêtre. Malgré la
lumière du jour qui m'éblouissait, mon regard fut attiré par un cadre posé sur une
table de nuit. Derrière le verre se trouvait une photo en noir et blanc. Je ne l'avais
jamais vue. Mon père s'y trouvait il tenait une femme par les épaules, celle-ci avait
un bras passé autour de sa taille. Elle souriait du même sourire que celle avec qui
j'avais dansé. Et pour cause c'était la même. Une écriture hésitante illustrait le
coin droit en haut : " Pour toi Jérôme, de la part de ta mère et ton père. "
Je vacillai, l'infirmière se pencha vers moi.
" Vous vous sentez mal, que vous arrive-t-il ? Je n'entends pas, que dites-vous ? "
" Vous trouvez normal que j'ai une trique pareille en dansant avec ma mère ? "
Je ne sais pas si elle réalisa l'importance de la question, personnellement je n'eus pas
le loisir d'entendre la réponse.